Critique : Le Deuxième acte

Retour express dans les salles obscures pour Quentin Dupieux : Le Deuxième acte succède à l’hivernal Daaaaaali ! en prenant le feu des projecteurs puisqu’il s’agit du film d’ouverture du 77e Festival de Cannes. Une satire sur le monde du cinéma particulièrement désopilante et originale, et qui ose jouer avec l’air du temps.

Grand cru

Il y a des séances un peu spéciales, qui font ressurgir des souvenirs de cinéphile. L’UGC Normandie s’apprêtant à fermer ses portes définitivement au mois de juin – le loyer insoutenable imposé par le Qatar, propriétaire des murs, aura eu raison de l’un des derniers cinéma des Champs-Elysées –, il était évident de s’y rendre une dernière fois pour la cérémonie d’ouverture cannoise – pour une retransmission calamiteuse visiblement limitée à ce lieu ! – et de faire ses adieux à une salle prestigieuse, antre de tant de découvertes au fil des années. Avec sa bande annonce où le quatuor de comédiens présente son personnage en marchant sur une route de campagne, on pouvait craindre que Le Deuxième acte soit un énième film s’appuyant et puisant dans Le Charme discret de la bourgeoisie (1972) de Luis Buñuel. Un leurre, puisque cette nouvelle comédie ira plutôt lorgner du côté de l’irrévérence d’un Bertrand Blier, avec cet amour formidable pour celles et ceux sans qui le cinéma ne serait pas grand chose, les comédiennes et comédiens. Si le cinéma de Dupieux se caractérise par un dispositif rudimentaire, bien que la mise en scène soit parfois ludique, la caméra s’embarque rarement dans des plans complexes comme ici, de longs plans-séquences en travelling arrière qui permette de saisir des conversations animées entre deux acteurs. Dans un premier temps, David (Louis Garrel) et Willy (Raphaël Quenard), deux amis, se dirigent vers le rendez-vous galant du premier – mais David souhaiterait que Willy le sorte de l’esprit d’une jeune femme qui ne l’intéresse pas. Si Quenard exploite sa gouaille habituelle sur des sujets où la parole peut être mal interprétée – quand les propos tenus ne sont pas ignobles, évidemment –, de la communauté LGBTQ+ aux handicapés, Dupieux joue sur un terrain particulier, faisant tomber le quatrième mur rapidement pour troubler joyeusement. Nous sommes face à deux comédiens, qui jouent, mais pourtant, leur conversation semble gêner David face à la caméra, notamment les réactions que les dires de Willy pourraient provoquer. Où allons-nous à cet instant, alors qu’aucune équipe technique ou artistique ne semble intervenir ? Mystère.

Louis Garrel et Vincent Lindon

L’autre duo, Florence (Léa Seydoux) et Guillaume (Vincent Lindon), propose une relation père/fille que Lindon refuse de développer : jouer dans ce film minable ne l’intéresse plus à l’heure des guerres et de la crise écologique. Échanges hilarants jusqu’à ce qu’un appel venu des Etats-Unis remette Guillaume en selle. Ce qui aurait pu servir de cadre à un vaudeville tourne à une hilarante confrontation au restaurant, le fameux Le Deuxième Acte où le dernier personnage, Stéphane (Manuel Guillot), se tient derrière le comptoir. La réunion de cette troupe, marquée par des échanges tordants et des confrontations virulentes, conduit Le Deuxième acte (2024) dans le domaine de l’hilarité – est-ce que Vincent Lindon a déjà été aussi odieux et drôle auparavant ? S’il s’attaque au métier d’acteur avec une certaine dose de cynisme, Quentin Dupieux se montre des plus malins, car réalité et fiction se confondent ici jusqu’à retirer la substance de tout élément. Nous voilà alors devant un pur plaisir de cinéma, où les coups bas et coups de gueule s’enchaînent avec une fluidité remarquable. On pourrait même dire que le film célèbre le métier d’acteur en jouant principalement avec ses aspects négatifs : soucis d’ego, de drogue, rôle dans la société, duplicité, etc.

Léa Seydoux et Raphaël Quenard

Au fil des scènes, le concept du film se dévoile : il s’ancre dans une problématique nouvelle avec l’avènement de l’intelligence artificielle, ce qui donne du relief au récit. Il permet aussi de créer des gags inédits et des situations ubuesques. Au cœur de cette séduisante pitrerie, on pourrait craindre l’égarement pour l’ultime chapitre, mais il n’en est rien : les dernières séquences irriguent d’une certaine douceur cette comédie déjantée. Parmi les derniers plans, on trouve un des « plans de fin » les plus beaux du cinéma de Quentin Dupieux. Un plan qui constitue aussi quelque chose d’exceptionnel quand on sait que l’on quitte le siège d’une salle de cinéma pour la dernière fois. Mine de rien, partager autant de rires dans une salle comble n’est plus si commun, comme quoi, des adieux peuvent se faire dans la joie. Un grand cru de la comédie contemporaine.

4 étoiles

 

Affiche du film Le Deuxième acte

Le Deuxième acte

Film français
Réalisateur : Quentin Dupieux
Avec : Léa Seydoux, Vincent Lindon, Raphaël Quenard, Manuel Guillot
Scénario de : Quentin Dupieux
Durée : 80 min
Genre : Comédie
Date de sortie en France : 14 mai 2024
Distributeur : Diaphana Films

 

Photos du film Copyright Chi-Fou-Mi Productions – Arte France Cinéma

Article rédigé par Dom

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